Le lobby de la téléphonie et des technologies sans fil est l’un des plus puissants du pays. Parfaitement organisé, il sait imposer ses volontés et repousser les tentatives de lois trop contraignantes.
Nous sommes à Paris, le 21 octobre 1994. À cette époque apparaissent en France les premiers téléphones portables, déjà promis à un très rapide développement. Et, en toute logique, naissent au même moment les premières interrogations sur d’éventuels effets sanitaires des ondes électromagnétiques. Ce jour-là, la Fédération des industries électriques et électroniques (FIEE) se réunit afin de « définir une stratégie pour faire face aux mouvements d’opinion relatifs aux effets sur le corps humain des rayonnements électromagnétiques ». Il s’agit, déjà, d’organiser la riposte, de « montrer que ces REM n’ont pas d’effets nocifs ». Et cela, même si de sérieux doutes existent déjà, comme le montre d’ailleurs le memorandum de cette petite réunion entre amis : « Un certain nombre de constats ont été faits sur les effets des REM », notent les participants. « Une étude commandée par France Telecom a fait apparaître des champs importants dans les véhicules équipés de radiotéléphone », remarquent-ils encore.
Mais on parle finalement assez peu de médecine et de mesures lors de cette entrevue. Les participants s’attachent surtout à élaborer une stratégie commune pour défendre leurs intérêts. Dans leur viseur, les pouvoirs politiques et médiatiques. Ainsi, « les actions envisagées […] doivent intégrer une dimension « politique » à l’adresse des hommes politiques et des journalistes. […] L’action de lobbying doit être dirigée vers les représentants européens (prochaine présidence française) ».
« Ils ne lâchaient rien »
Petit saut dans le temps, pour voir comment peuvent se concrétiser ces belles intentions. Nous voilà en mai 2003, et les pays membres ont sur leur table un projet de directive européenne visant à réglementer l’exposition des travailleurs aux champs et ondes électromagnétiques. La FIEE, devenue Fieec (avec le C de « communication »), écrit au ministre des Affaires sociales, du travail et de la solidarité, un certain François Fillon, pour lui exposer ses attentes. Elles sont assez claires : il faut « éviter les contraintes additionnelles inutiles » et s’en tenir aux valeurs limites préconisées par la Commission internationale pour la protection contre les rayonnements non ionisants (Icnirp). Logique, puisque celles-ci ne sont nullement contraignantes (lire p .10). La Fieec va jusqu’à suggérer des amendements au ministre, précisant, sans détour, que « leur adoption permettrait au projet de directive ainsi proposé de progresser avec l’appui de l’industrie ». Quinze ans plus tard, les valeurs limites fixées par l’Icnirp sont toujours en application. Et le lobby du sans-fil toujours aussi organisé.
Marc Arazi, ex-coordinateur national de l’association Priartem, a pu le vérifier à l’occasion du Grenelle des ondes organisé en 2009. L’occasion est unique, pour les associations et autres lanceurs d’alerte, de se faire entendre sur la dangerosité des ondes et champs électromagnétiques.
« Des petits déjeuners, des dîners… »
Quelques années plus tard, alors qu’elle tentait de faire adopter sa loi « relative à la sobriété, à la transparence, à l’information et à la concertation en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques », Laurence Abeille s’est heurtée à la même attitude.
Au Sénat, même combat.
Nicolas Bérard
1- Petit aperçu de la composition de cette organisation : le Sfib (syndicat de l’industrie des technologies de l’information) ; le Gifam (groupement interprofessionnel des fabricants d’appareils d’équipement ménager) ; Alcatel (Alsacienne de constructions atomiques, de télécommunications et d’électronique) ; le Cenelec (Comité européen de normalisation en électronique et en électrotechnique) ; le SimaVelec (syndicat des industries des matériels audiovisuels électroniques)…
2- Pour rassembler, informer et agir sur les risques liés aux technologies électromagnétiques.